In need of a no man's land
When lies turn into truth there's nothing more I can do
« The beginning is the most important part of the work. » › TENDRE ENFANCE
«
Je croyais m’être bien fait comprendre ! », hurle une voix rageuse, perçant la nuit qui aurait pourtant dût être calme.
La claque contre la joue de l’enfant produit un bruit sec, sans appel. Lawrence, huit ans et demi, a un regard sombre pour son flic de père, lequel tenait dans son autre main une bouteille de bière à moitié vide. Pas la première de la soirée, malheureusement et c’était bien ce qui avait provoqué la gifle. Le seul tort du petit garçon avait été de quitter son lit, ne voulant pas y retourner et tapant un peu du pied pour ce faire. Il avait peur des monstres dans le placard à cet âge. Ceux qui ouvrent lentement la porte pour dévoiler leurs yeux carmins et leurs dents longues comme des sabres. Ceux qui de leurs griffes affilées viennent gratter contre le carreau de la fenêtre puis qui se font passer pour les branches des arbres aux yeux des parents si naïfs. Mais les enfants savent, eux. Et Lawrence était un de ces enfants aux terreurs nocturnes parfois paralysantes. C’est difficile à gérer pour un homme mature, alors pour un enfant ? Parfois, c’est à se demander si ceux-ci ne sont pas plus forts que les adultes.
Cette nuit-là, son père avait encore bu. C’était de plus en plus fréquent. Lawrence se souvenait encore de son Père d’Avant. Le Père d’Avant était drôle et amusant. Il riait beaucoup et ses jolis yeux bleus brillaient de plaisir alors qu’il soulevait Lawrence pour le lancer dans les airs et le rattraper sous les airs scandalisés et effrayés de sa belle Mère d’Avant. Le Père d’Avant l’encourageait quand ça n’allait pas bien à l’école et faisait fuir les voyous qui en avaient après son beau vélo rouge ou riaient de ses lunettes trop épaisses. Il était chouette, le Père d’Avant. Et la Mère d’Avant était heureux. Mais le Père d’Après était sombre, buvait trop et hurlait beaucoup. Parfois, comme cette nuit, il frappait, aussi. Jamais avec le poing, mais il semblait à Lawrence que c’était déjà trop. Et la Mère d’Après avait les joues creuses et lui avait fait promettre de ne jamais rien dire. Alors le petit garçon ne disait rien, mais avait l’impression de devoir garder un secret trop lourd à porter pour ses maigres épaules.
Ces états, Avant et Après, encadraient un décès. Personne ne l’avait jamais dit à Lawrence. Parce que les enfants ne comprennent pas, vous savez. Les enfants sont un peu idiot, à entendre les adultes parler. Mais Lawrence n’avait pas besoin qu’on lui dise. Alors qu’il retourne dans son lit, préférant les monstres à son Père d’Après, il songeait à ce moment où Avant et Après étaient devenus tangibles. Avaient commencés à exister. Ce décès, c’était celui du partenaire de l’officier Beresford. Il ne savait que ce qu’il avait bien pu entendre en tendant l’oreille en haut des escaliers pendant qu’en bas, les grands parlaient à voix basse. Mais le plus important, c’est qu’il y avait eu une enquête. Que son père, imprudent, avait envoyé son tout jeune partenaire en éclaireur. Mais que ce soir là, les choses qui ne se produisent que dans les films étaient vraiment arrivés. Il y avait eu des coups de feu, puis plus de partenaire du tout. Et c’est là que le Père d’Après était apparu. Tout pile à ce moment-là. Alors Lawrence détestait cet homme dont il avait pourtant gardé un bon souvenir.
Il y avait une photo de lui près de la cheminée. Un tout jeune homme de 23 ans qui semblait pourtant si vieux aux yeux du petit garçon de huit ans. Et pendant des années et des années après le drame, alors que son père sombrait doucement dans l’alcoolisme et que sa mère entrait lentement en dépression, Lawrence se souvient avoir été comparé mille fois à cet homme-là. Et il se souvient surtout ne jamais avoir été à sa hauteur aux yeux de son Père d’Après.
« The best lightning rod for your protection is your own spine. » › DE GAMIN À POLICIER
C’était devenu une obsession plus qu’une envie. Alors que le regard presque noir le scrutait avec attention, attendant une réponse à la question fatidique, c’est comme si la tête de Lawrence se vidait complètement. Comment pouvait-il expliquer à cet officier qu’il ne voulait non pas devenir enquêteur par valeurs personnelles, par idéal social ou par besoin de justice, mais parce qu’il était obsédé par cette idée jusqu’à ce qu’elle en devienne presque malsaine ? Le jeune homme d’à peine vingt ans était complètement dépassé par cette simple question. Question dont la réponse aurait dût lui être si naturelle. Naturelle...
«
Je ne me suis jamais posé la question. », s’entend soudainement répondre Lawrence. Et il en est un peu mortifié après coup. Est-ce que ce n’était pas là une mauvaise réponse ? Une façon de dire qu’il n’était finalement pas si motivé que ça ? Il panique et le pire, c’est que sa tête est toujours vide. Son regard s’anime, il ouvre la bouche, incertain. «
Je veux dire... »
L’officier d’au moins trente ans son aîné lève une main pour l’interrompre.
«
Je vois. », déclare-t-il sèchement.
C’était mauvais. Très mauvais. Lawrence en était certain. Et pourtant, au moment où il sent l’urgence de plaider à nouveau sa cause, le visage si strict et creusé par de nombreuses années d’horreurs et d’injustices s’éclaire d’un sourire discret. Et ça, c’était très positif.
«
Les bons policiers ne se demandent pas pourquoi ils sont devenus policiers. Sinon, ils deviennent fous. Et c’est spécialement vrai pour ceux qui se spécialisent pour la brigade criminelle. », commente finalement à nouveau l’homme. C’était un pur soulagement. «
Alors tu peux revenir en cours. Mais la prochaine fois que tu manque à l’appel, je jugerai qu’il est temps d’en aviser le conseil disciplinaire. »
Lawrence s’incline brièvement, le coeur un peu battant. Et lorsque l’ordre lui en est donné, il déguerpit. S’il devait réellement dire à quel moment il a arrêté d’être cet adolescent déchaîné et fougueux qu’il avait un jour été, sûrement qu’il raconterait ce moment-là. Les soirées de beuverie entre copains avaient faillit lui coûter son avenir. Et Lawrence l’avait compris. Non seulement il avait pu comprendre ça, mais il avait aussi réalisé autre chose. Peu importe à quel point il n’était pas aussi doué que ce garçon de 23 ans que son père avait laissé tuer, lui était réellement fait pour cette voie. D’une façon ou d’une autre, il avait fait le juste choix. Ce n’était pas le moment de le gâcher... Et cet officier qui s’était reconverti dans l’enseignement le lui avait fait comprendre de la meilleure des façons. Dès ce moment, Lawrence compris qu’il était quelqu’un, lui aussi. Et ce quelqu’un allait devenir un grand enquêteur de Scotland Yard.
« It is not a lack of love, but a lack of friendship that makes unhappy marriages. » › LA VIE D'HOMME MARIÉ
On prétend souvent que les grands moments d’une vie de couple, ce qui la consolide et la rend plus forte, c’est le mariage et devenir parent. On oublie surtout de préciser que c’est aussi ce qui, dans l’extrême majorité des cas, réussi à la réduire à néant. C’était un peu à ça que pensait Lawrence dès qu’il se levait le matin, après huit ans de mariage et une adoption acceptée par un vrai miracle qu’il ne saurait s’expliquer, pas plus que son compagnon ne le pourrait, probablement. Mais c’était un sujet qu’ils n’abordaient jamais. Cette période – celle de l’adoption de Meredith – avait probablement été la chose la plus éprouvante de toute leur vie et même si Tyler et lui ne se l’admettraient jamais, leur couple ne s’en était pas tout à fait remis. Pourtant, Meredith était bel et bien là, assise à la table de la salle à manger, la langue entre les dents, fort concentrée sur un problème de mathématique particulièrement difficile, d’après elle. Peut-être un peu trop laxiste, Lawrence lui donne la réponse... et là, c’est la fin du monde. Encore.
«
Comment est-ce que tu veux qu’elle apprenne si tu es toujours derrière elle pour tout faire à sa place ?! Franchement, Lawrence ! », s’écrit soudainement Tyler du fond de la cuisine, faisant sursauter le principal concerné, mais aussi leur fillette de six ans. «
On dirait que tu n’as jamais lu un seul des bouquins que j’ai acheté à propos de la paternité !! Est-ce que tu sais seulement que... »
Déjà, Lawrence n’écoutait plus. Il n’était plus parce que près de lui, Meredith faisait de son mieux pour retenir ses larmes, sanglotant un peu dans la manche de sa petite robe blanche. Il caresse les cheveux de sa petite poupée, trop las néanmoins pour la rassurer ou mieux encore, pour demander à Tyler de ne pas hurler de cette façon devant elle. Il n’allait pas se le cacher : il avait été con, lui aussi. À souvent hurler sur Meredith après une dure journée, comme si c’était la meilleure façon de se défouler. À lancer un verre au sol, une nuit, parce que Tyler venait à nouveau chercher la petite bête noire et qu’il avait explosé, un éclat allant par le fait même se ficher dans le pied de son amoureux, arrachant un cri d’horreur à Lawrence par le fait même. Ou bien encore à ne juste pas rentrer après sa journée de travail. À aller dans un motel. À rejoindre Anthony... Ils s’étaient déchirés. Mais ils ne s’étaient pas aidés.
Pourtant, ce mariage était si beau. Et finalement, plein d’espoir comme ça lui arrivait encore parfois, Lawrence se lève pour aller prendre les mains de Tyler, s’excusant et promettant. Tyler aussi, s’excusait et promettait souvent. Ça aurait dût être suffisant...
« My mind floats like ash. I blame myself most cruelly. » › LE DIVORCE
Ça ne l’avait pas été.
«
Bordel, Lawrence ! Ça fait mille ans que tu dois signer ces putain de papiers... », grogne Tyler dans le combiné, lequel était posé sur la table basse du salon. Un bloc-note à la main, l’enquêteur à la criminelle gribouillait plutôt que d’écouter la voix exaspérée de son bientôt ex-mari. «
Tu ne peux pas dire que je n’ai pas tout fait pour que ce mariage fonctionne ! Tu me dois bien ça ! »
Le regard de Lawrence remonte lentement jusqu’au téléphone. Il l’observe un moment, se demandant un peu ce qu’il devait à Tyler, au juste. Puis, il tourne la tête pour regarder les dits papiers de divorce qu’il prétendait avoir encore une fois égarés, d’une façon ou d’une autre. Quelque chose lui disait qu’après dix ans de mariage, Tyler savait très bien qu’il ne les avait jamais perdu et qu’il les avait plutôt lui-même balancé à la poubelle, comme un grand. Mais c’était encore tout ce qui le rattachait à cette vie qu’il avait connu pendant si longtemps, ces papiers idiots. Des papiers qui lui arrachaient bien plus que Tyler ou une poignée de menue monnaie. Ils lui arrachaient aussi le coeur. Parce que ces papiers annonçaient que Lawrence n’était pas apte à avoir la garde de Meredith. Ils décrétaient haut et fort que leur fille allait vivre à temps plein chez Tyler. Que pour la voir, il devrait aller la chercher deux dimanches par mois à 10h du matin pour la ramener à 17h tapantes. Quatorze heures par mois. C’était à ça que se réduisait ses droits parentaux. Et ça n’en était même pas puisque légalement, il n’avait jamais pu adopter Meredith. La double paternité n’était pas acceptée et ce n’était pas son nom qui apparaissait sur les dossiers de l’enfant. Ou plutôt comment ne pas donner leurs droits aux homosexuels. Il n’avait aucun droit sur Meredith. Rien. Nada.
Alors lui devoir quoi, au juste ? Lawrence pose le bloc-note sur la table basse du salon. Il prend le cellulaire, dans lequel s’égosillait encore Tyler, à propos de tout et de rien, mais surtout du caractère « merdique » de Lawrence et de son incompréhension face à l’urgence de la situation. Bien sûr qu’il la comprenait, l’urgence. Tyler voulait se remarier.
«
Tu sais quoi, Tyler ? », demande soudainement Lawrence, les premières paroles qu’il prononçait depuis le début de l’appel, soit une dizaine de minutes. L’attente ne se fait pas longue à l’autre bout du fil et déjà, Tyler demande sèchement quoi, impatient. Il l’avait toujours été. Fut un temps où ça avait séduit Lawrence. Plus depuis longtemps. «
Vas crever. »
Et sur ce, il raccroche. Le problème des cellulaires, et il s’en rendait compte maintenant seulement, c’est qu’on ne pouvait pas raccrocher avec violence au nez de son interlocuteur. Ça aurait fait du bien, il lui semblait... Mais il allait les signer, ces papiers. Il fallait le faire. Il fallait avancer. Vers où ? Ça, aucune idée...
« What scares me the most now is the thought that I won't be able to protect you. » › PEAKS ISLAND
Lawrence laisse tomber ses valises au sol. Derrière lui, le bateau joue de la corne de brume encore une fois. Fermant les yeux, il se pince l’arrête du nez. Faites que ce mal de crâne cesse immédiatement... D’une main tremblante, Lawrence sort de sa poche de son manteau un contenant d’une centaine de cachets contre les maux de tête. Ce dont il aurait vraiment besoin, considérant son état actuel, c’était d’une injection d’insuline mais pour le moment, il passe outre. Pas qu’il ait encore le luxe de le faire très longtemps mais ça pouvait attendre qu’il arrive à l’hôtel. Ou plutôt, au motel, comme il avait compris. Tant qu’il pouvait dormir en quelque part et que ce quelque part comptait un lit, Lawrence était heureux. Il avait traversé l’océan par avion, puis pris un petit bus en quelque part au Maine qui l’avait conduit de par quelques routes sinueuses. Et là, il y avait un lac... ou... peu importe ce que c’était réellement. Avec ce petit bateau derrière lui, il avait rejoint Peaks Island. Son nouveau domicile.
L’enquêteur croque les cachets. Leur goût amer ne l’atteignait même plus tant il en avait l’habitude. Il se contente à peine d’une grimace avant de se pencher pour récupérer ses valises. Autour de lui, quelques curieux tourne la tête mais il les ignore de toute sa superbe pour se diriger droit vers la petite voiture de location qui l’attendait là, comme convenu. C’est un copain, disons-le comme ça, qui lui avait parlé de Peaks Island. Vraisemblablement, sa femme était native de cet endroit et l’avait quitté avec un grand soulagement. Les rumeurs ? Oh, il ne les croyait pas. Du moins, pas celles qui parlaient de fantômes ou de trucs débiles du genre. Mais on lui avait fait comprendre qu’il y avait beaucoup de cas de disparition ou de meurtres qui échappaient encore aux policiers de là-bas. Résoudre ces cas semblait être une bonne façon d’oublier. Oublier son divorce. Oublier sa vie lamentable. Oublier qu’il n’était plus près de sa fille. Juste oublier...
Et après deux mois passés à Peaks Island, Lawrence commençait maintenant à comprendre qu’il n’était pas sorti d’ici de sitôt. Quelque chose l’enchaînait à cet endroit lugubre. Et en quelque part, il craignait presque de devoir admettre que ça ne lui déplaisait pas...