The Girl Who Played with Fire
   This was an arsonist's lullaby, gasoline on her clothes

   Il dort. Bien sûr qu'il dort. Pourquoi l'aurait-il attendu, alors qu'il doit enchaîner avec une longue journée de travail demain ? Bon, c'est vrai, elle aussi, elle va devoir travailler. Demain. Sauf qu'on est déjà demain, à en croire le radioréveil et ses chiffres lumineux, qui se reflètent sur le plafond. Ils ont dû en changer, récemment, et opter pour ce modèle là, et pas un autre, parce que le malheureux prédécesseur de celui-ci a fini sa vie sur le bitume, plusieurs dizaines de mètres plus bas, alors qu'une Olivia, exaspérée de se taper encore une insomnie, a voulu se passer les nerfs sur quelque chose. Ce quelque chose, ça a été le radioréveil, parce que celui là vous indiquait l'heure à l'horizontal, et non à la verticale, et que, quand vous n'arrivez pas à dormir, et que vous avez ces chiffres lumineux qui vous éclairent la gueule, ça vous fait vite sortir de vos gonds. Il dort, là, et il est paisible. Enfin il semble paisible, même s'il agrippe l'édredon comme on agripperait quelqu'un qui manque de tomber dans le vide et qui n'a plus que vous à qui se raccrocher. Il dort, et c'est mieux comme ça. Olivia n'a pas à lui raconter sa journée, ennuyante, et sa soirée, un brin exaspérante. Elle travaillait dans un bar, ce soir, pour se faire un peu de fric en plus. Il y a encore eu ce type, qui vient souvent. Ou qui est en tout cas toujours là quand Olivia travaille. Parce qu'elle ne travaille pas tous les soirs. Elle alterne entre ce bar et une boîte de nuit, et il y a aussi des soirs où elle ne travaille pas. Le sommeil, c'est important pour être en bonne santé, avoir une belle peau, et de beaux cheveux. Et puis, elle peut se le permettre, de ne pas travailler tous les soirs, quand on sait qu'elle se fait autant de pourboire en ces quelques soirs travaillés que ceux et celles qui taffent tous les soirs, et sur des amplitudes plus importantes que les siennes. Il y avait tond ce type, là, la quarantaine, le faciès typique de ces mafieux de films, qui se donne un genre et roule des mécaniques alors que tout le monde a fini par savoir qu'il était en phase terminale d'un cancer des testicules. Comme à chaque fois, il a essayé de lui sous-tirer des conso' gratuites, et comme toujours, elle a refusé, lui servant, à chaque fois, un verre d'eau pétillante. Les bulles, c'était cadeau de l maison. Il a aussi essayé de la convaincre de rentrer avec lui, dans son bungalow. Et là encore, elle a refusé. Il a encore cru que c'était une bonne technique que de lui parler de son frère, parce qu'ils avaient tous les deux été dans la même prison. Mais cela voulait bien dire que ce type ne la connaissait pas. Olivia n'en avait rien à faire, de son frère. Ils n'avaient même pas été élevés ensembles, de toute façon. Et puis, aux dernières nouvelles, il était sorti de taule, sans la prévenir, ni passer la voir. Cela voulait bien dire ce que ça voulait dire. Et puis, Olivia n'est pas du genre à coucher à droite et à gauche, quand elle est amoureuse. Parce que oui, elle est amoureuse. C'est obligé. Elle qui aime le changement et déteste les complications mièvres et les attaches en mode fers aux pieds, elle ne resterait pas avec le même gars depuis déjà deux ans et demi si elle ne l'aimait pas. C'est forcément ça, n'est-ce pas ? ...

Elle arrange le bouquet de fleurs sauvages qu'elle a déposé dans le vase posé sur la commode de la chambre. Les fleurs font un peu la gueule, parce qu'elles ont passé toute la soirée à tremper dans un sceau à champagne rempli de limonade. Le coéquipier d'Olivia n'a rien capté quand elle lui a demandé un vase et de l'eau. Mais c'est déjà pas mal que sa patronne, au magasin de fleurs, l'est laissée ramener chez elle une composition de fleurs sauvages dont la cliente à qui elles étaient destinées a choisi de ne finalement pas les prendre, faisant soit disant une phobie du blanc. Et bien, la pauvre ... Il était pourtant mignon, ce bouquet. Il y a toujours des fleurs chez elle. Ou plutôt, chez eux. Lui aussi, il vit ici, après tout. Mais il ne lui offre jamais de fleurs. Parce qu'il doit comprendre qu'elle en a sa dose, et que si elle accepte d'en ramener toutes les semaines ou presque, c'est uniquement pour ne pas offenser sa patronne et perdre ses primes de bons résultats. Elle ne tient pas particulièrement à ce travail, mais il ne demande pas trop d'efforts, et ne l'oblige pas à finir tard, ce qui lui permet d'enchainer avec des heures en tant que serveuse, ailleurs. Et si elle ne jette tout simplement pas les fleurs à la poubelle, c'est par respect pour ceux qui n'ont même pas les moyens de se payer des fleurs. On ne gâche pas. Et un cadeau, c'est un cadeau. Aujourd'hui, au magasin, elle a vendu une couronne de fleurs destinée à aller sur la tombe d'un pompier mort en exercice. Une fatalité qu'elle connait. C'est ainsi qu'est mort son père. Il y a 8 ans de ça. Il a survécu au 11 septembre, pour finalement laisser sa peau dans un incendie en 2006. Est-ce que ça lui a réellement fait quelque chose ? Sans doute un peu : Olivia a un cœur, tout de même. C'est juste qu'en tant que père, son géniteur n'a pas vraiment joué son rôle la concernant. Mais en le perdant, elle perdait quand même son père, malgré tout ... C'est à ce moment là que son frère a débarqué. Les services sociaux ont estimé qu'il devrait venir habiter avec sa mère. Avec leur mère, à tous les deux. Se fichant royalement du fait qu'elle n'était jamais là, et qu'ils allaient coller ensembles deux gamins qui ne se connaissaient pas, ne se voyaient qu'une ou deux fois par an, pour les fêtes de fin d'année et les vacances. Peut-être qu'ils ont pensé que le contact et le lien se feraient rapidement. Ils étaient jumeaux, après tout, et les jumeaux, s'est fait pour s'entendre, non ? Mais elle et lui, c'est comme l'huile et le vinaigre, deux pôles opposés qui passent leur temps à se repousser. Il avait été élevé par leur père, et elle, elle était censée avoir été élevée par leur mère. Vous voyez le tableau. Alors, entre eux, ça ne collait pas plus que ça. Sans qu'il n'existe cependant la moindre haine. Il y avait malgré tout, de façon indéniable, ce truc, entre eux. Et puis, il a fini le lycée, quand elle a repiqué, par deux fois. Et après ça, silence radio, jusqu'à apprendre qu'il avait fini en tôle, quelques temps avant d'apprendre qu'il en était ressorti. Un gars très intelligent, son frère, qui avait pourtant choisi de se servir de ses capacités intellectuelles pour tremper dans de sales affaires. Bref.

Il y a une légère brise, ce soir, ou plutôt, ce matin. Les rideaux dansent un peu, doucement, en un rythme régulier et lascif. Un peu comme les pans de la robe de chambre de satin d'Olivia, lorsque la jeune femme s'approche de la fenêtre, pour observer le dehors, baigné de la lumière tamisée des lampadaires de la rue, et de la clarté diaphane de la Reine Céleste. Elle a enfilé sa nuisette, comme pour s'apprêter à aller se coucher, parce que, encore une fois, il y a cette journée de travail qui l'attend, dans quelques heures. Mais comme souvent, Olivia retarde l'échéance, quant à aller se coucher. Elle ne ressent pas particulièrement la fatigue, dans ces moments là, et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir travaillé, aujourd'hui. Faire des nuits blanches, cependant, ce n'est pas ce qu'elle recherche. Ce genre de délire appartient majoritairement plus à son passé qu'à son présent, quand elle faisait la fête, s’enivrait jusqu'à ne plus être entièrement maitresse de son corps. Rien n'avait d'importance, en ce temps là. Pas qu'aujourd'hui ce soit différent, cependant. Les études, cela lui semblait accessoire. Elle a échoué à ses examens à plusieurs reprises. Elle n'était pas cancre, mais cela ne l'intéressait tout simplement pas. C'était la belle époque, quand il ne fallait pas trimer pour presque rien afin de payer les factures. Mais à cette époque là, bien que toujours absente, sa mère la finançait encore suffisamment. Quoi que c'est bien au moment de son premier échec au diplôme de fin de lycée que la jeune femme a dû commencé à travailler, sa mère crissant des dents quant à continuer de la laisser faire ce qu'elle voulait. C'est ce qu'elle a dit, alors qu'il n'en était rien. La vérité, c'était qu'elle ne rentrait même plus à Peaks Island, sa mère. Là où elle les avait faîte emménagée, à l'entrée d'Olivia au lycée, quittant Portland, à quelques kilomètres plus à l'ouest. La vérité, aussi, c'était qu'elle entretenait une liaison avec un pilote de ligne européen. Et qu'elle ne lui avait jamais parlé, à son amant, de ses deux enfants, et surtout de sa fille. Olivia a alors dû commencer à faire du dog-sitting, et du baby-sitting, ainsi que de donner des cours de gym. Parce que la gym, elle aimait. Elle adorait, même, parce que c'était du sport. Et que de défouler, c'était toujours mieux que de taper dans les murs. Les nuits blanches s'étaient accentuées, à cette époque là, Olivia se sentant de plus en plus délaissée. Pas qu'elle aurait préféré avoir sa mère avec elle. Réflexion faîte, elle aurait viré dingue. C'était juste une envie d'aller plus loin, de se rebeller, de se faire entendre, de se sentir vivante, et libre, aussi. Quand elle rentrait chez elle, tout s'arrêtait, et ça, c'était dur. Et puis, il y a eut Maddie. Il ne fallait pas la lancer sur ce sujet, parce qu'elle réagissait toujours de façons différentes, à chaque fois. Maddie, c'était ... C'était quelqu'un d'exceptionnel, dans sa vie. Comme un soleil, une comète. Sauf que les comètes, ça finit par disparaître aussi vite que c'est arrivé, alors que Maddie ... Elles sont toujours en contact, et se voient encore. Et c'est peut-être là, le nœud du problème. Il y a eu cette seule et unique nuit, avec, au cœur, et au corps, un truc qu'Olivia n'avait encore jamais connu, et qu'elle n'a jamais retrouvé depuis. Même pas avec son homme, et pourtant, ce n'est pas faute d'essayer, de se montrer inventive, et d'avoir une vie sexuelle épanouie. Du moins, en théorie. Oui, ils ont des relations sexuelles fréquentes, mais il n'y a jamais ce truc qu'il y a eut avec Maddie. Quand elle ne parvient pas à dormir, ça revient trotter dans la vie d'Olivia. Qui aimerait que ça s'arrête, en s'accrochant pour autant à cette sensation euphorisante et extatique.

De tout ça, lui ne sait rien. Olivia ne parle pas beaucoup de certaines choses. Et lui ne comprend pas toujours tout, la concernant. Elle aimerait lui en dire plus, ou, en tout cas, être un peu plus comme il pourrait vouloir qu'elle soit. Mais elle veut aussi rester elle-même, et ça doit bien lui plaire au moins un peu, à lui, sinon, il ne l'aurait jamais abordée, à Portland, alors qu'elle passait devant lui et qu'il était censé ne pas draguer qui que ce soit sur son lieu de travail et pendant ses heures de travail. Et il ne serait pas ensuite resté avec elle, depuis ces 2 ans et demi ... Il a sans doute tout de l'homme parfait. Il est beau, attentionné, et a du charisme. Il en a dans le crâne, aussi, et il a des valeurs respectables. Pas le genre à crier qu'il faut dégager les étrangers en se gorgeant de bière, le cul enfoncé dans le canapé. Olivia est heureuse, avec lui, c'est obligatoire. Mais lui n'a jamais vu la mère de sa belle, ni même le frère de cette dernière. Du père d'Olivia, il n'aurait rien su si, un jour, en fouillant au fond d'un tiroir, il n'était pas tombé sur le badge du père d'Olivia. De la naissance bâtarde de la mère d'Olivia, il ne sait rien non plus. Il n'a jamais vu cette grand-mère italienne qui, jusqu'aux 8 ans d'Olivia, qui s'appelait alors encore Ivy-Sixtine, l'a élevée. Cette femme si jeune, mère à 17 ans et grand-mère à 38 ans, qui avait eu la maladresse de tomber amoureuse du fils, marié, de ses patrons, les McKenzie, elle qui était jeune fille au pair venu d'Italie. Un fils de 5 ans son aîné, qui lui a fait un bébé, avant qu'elle ne doive quitter son poste, pour ne pas s'attirer l’opprobre. Un jeune homme qui a été déclaré leur fille à la mairie, en l'affublant cependant d'un nom de famille qui n'était pas le sien, Stark. D'Olivia, le jeune homme qui partage sa vie ne sait presque rien, effectivement. Et elle ne comble pas les blancs. Lui ne s'en offusque pas plus que ça, parce qu'il a confiance en elle. Il sait qu'elle ne court pas après la gloire ou l'argent, et que ça a un rapport avec la grand-mère de la jeune femme, dont la malencontreuse expérience a visiblement vacciné sa petite-fille à ce sujet là. Mais sans doute ne s'offusque-t-il pas parce qu'il n'a pas connaissance de la gravité et de la teneur de certains secrets qu'elle conserve hors de sa portée. Comme sa fausse couche, par exemple, il y a environ un an. Olivia, elle ne voulait pas forcément d'enfant, et ne sait toujours pas aujourd'hui si être mère, c'est fait pour elle, la petite-fille de l'ancienne jeune fille au pair fille-mère, et la fille d'une mère et d'un père qui se sont rencontrés dans un bar, et côtoyés, régulièrement, jusqu'à ce qu'il y ait ce petit incident de contraceptif, débouchant sur une grossesse et une naissance gémellaire. Mais quand ce petit bébé est arrivé, Olivia s'est dit que, maintenant qu'il était là, qu'il faisait son nid, il allait falloir essayer. Il y a eut finalement cette bagarre, au bar, et, bousculée, elle a perdu le bébé. C'était encore tôt, dans sa grossesse. Elle commençait à peine à voir son ventre s'arrondir, ou, en tout cas, ses yeux à elle s'étaient créés cette hallucination visuelle. A peine arrivé que c'était fini. Mais elle est heureuse. Ils sont heureux. Ils s'aiment, arrivent encore à éponger progressivement leurs dettes, et ... Ils sont forcément amoureux. Elle est forcément heureuse, c'est obligé ... N'est-ce pas ?

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