The world is ours
I'll stop the whole world from turning into a monster
« Lucrétia, elle est pas cool d'abord. Parce que c'est une fille et parce qu'elle me pique toujours tous mes jouets. Je voulais un chien et on m'a ramené ce bébé. Je comprends pas pourquoi. » – Isaac Hamilton, 6 ans, écolier.
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C'est la journée anniversaire aujourd'hui, c'est la journée où les enfants dont l'anniversaire tombe durant le mois apporte un gâteau pour célébrer ça avec toute la classe. Tu souris jusqu'aux oreilles parce que ton gâteau est rose et qu'il y a un poney dessiné dessus. Maman t'a dit que c'était un gâteau au chocolat en plus !
La salle se remplit par des chants, des cris d'enfants et des rires. Alors que tu joues au loup avec d'autres enfants, t'aperçois un garçon dans un coin qui ne s'amuse pas. Tu t'approches de lui pour lui parler, mais quelqu'un te retient par la manche de ton t-shirt.
« Lu, va pas jouer avec lui ! » Les yeux écarquillés, tu regardes ton amie.
« Pourquoi pas ? » Elle secoue férocement la tête de gauche à droite, puis s'approche de ton oreille pour chuchoter :
« C'est pas un gentil. Puis il fait peur aussi ! » Tu regardes le petit garçon blond au fond de la classe. Il est seul et il l'a toujours été depuis que l'année a commencé. Tu ne comprends pas très bien, il n'a pas l'air bien méchant pourtant.
« Parait que dans sa famille, c'est tous des zombies en plus ! » Tous tes amis se sont arrêtés pour rejoindre votre conversation. Tu éclates de rire.
« Mais n'importe quoi, Tommy, les zombies ça n'existe pas ! » Ton sourire s'efface quand tu remarques que tout le monde désapprouve.
« Allez, viens Lu, on va manger du gâteau ! » Tu n'as pas vraiment envie de le laisser tout seul. Tu sais que toi, quand t'es toute seule, tu t'ennuies. Quand Caleb, Alec et Isaac te rejettent parce qu'ils sont occupés, tu te sens triste. T'as pas envie que lui aussi, il se sente triste. Mais avant même que tu n'aies eu le temps de faire un autre pas, tes amis te tirent par la main pour reprendre votre partie. Zut, c'est toi le loup cette fois-ci ! Tu cours aussi vite que tu le peux en imaginant être un cheval galopant (bah oui, un cheval, c'est plus beau qu'un loup !) et tu touches l'épaule d'un des garçons. La seconde d'après, tu t'enfouis en rigolant. Non, non et non, t'as pas envie d'être retouchée. Tous au abris !
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« Une petite adorable, vraiment. Du haut de ses six ans, elle m'a aidée à porter un de mes sacs de course. C'était le plus léger mais c'était un geste adorable tout de même. » – Helène Jefferson, 64 ans, retraitée.
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Tu es assise, là, au milieu du salon sur un grand canapé qui pourrait casé au moins dix petites filles de ta taille. Tu es à la maison seule avec Isaac. En général, toi et lui, vous feriez les quatre-cent coups en imaginant que le salon est rempli de lave, que ton lit est tapis volant, que ta baignoire est un sous-marin, mais ce soir, t'as pas trop le moral. Tout le monde est parti en courant et la seule chose que ton père t'ait dite, c'est :
« Lucrétia, reste ici et reste sage. » Alors c'est ce que tu fais, tu restes sage. Isaac, il joue avec ses voitures, par terre. Tu le regardes jouer et tu l'écoutes imiter le bruit de moteur surpuissant. En vrai, ça ne ressemble pas du tout à un moteur, mais bon, on va faire comme si.
« Isaac, elle est où Maman ? » Il s'arrête et relève la tête vers toi. Il a l'air de songer à ce qu'il va te répondre (sauf que ça, tu t'en rends pas compte) et il finit par te dire :
« Je sais pas. » en haussant les épaules.
« Oh. » est tout ce que tu arrives à répondre.
Tu ne sais pas très bien combien de temps tu es restée assise calmement sur le canapé à regarder Isaac, peut-être quarante minutes ou peut-être une heure ou même quelques minutes. La porte d'entrée s'ouvre violemment. Ton regard s'illumine et tu bondis du canapé pour rejoindre l'entrée. Tu n'as pas le temps d'accueillir ton père car il se dirige vers son bureau d'un pas déterminé. Tu t'arrêtes au milieu du hall. La porte est toujours ouverte. Il fait froid et il pleut dehors. Alec rentre à son tour, les pas traînants. Tu veux sauter dans ses bras, mais il passe à côté de toi comme s'il ne t'avait pas vue. Tu le regardes monter les escaliers qui mènent à sa chambre. Oh, il n'a pas l'air d'humeur à vouloir jouer. Tu t'apprêtes à retourner vers le salon quand une troisième personne passe le pas de la porte.
« Caaaaal ! » Tu ne lui laisses pas le choix à celui-là et tu lui fonces dessus. Vu sa taille, tu entoures tes petits bras au milieu de sa cuisse droite. Il passe sa main sur ta tête affectueusement. Tu souris.
« Dis, Maman, elle est ou ? » Il arrête son geste et se crispe (mais ça, tu ne le remarques pas). Il hausse les épaules. Tu lâches ton emprise sur lui. Tu ne comprends pas.
Il t'a fallu quelques semaines pour comprendre qu'elle ne reviendrait pas. Tu voyais des articles de journaux avec son nom écrit un peu partout, mais ton père refusait de te laisser lire. Tu ne comprenais pas pourquoi.
Il t'a fallu un an pour vraiment comprendre ce qu'il s'était passé. Un chauffard avait percuté la voiture de ta mère ce qui l'aurait envoyée dans un ravin. Le conducteur fautif se serait enfuit comme un lâche. C'est là que tu as compris que les gens ne sont pas toujours bons, que les gens ne font pas toujours ce qu'ils devraient faire. Pourtant, tu ne peux t'empêcher de chercher la part de bonté en chaque personne. Pour toi, rien n'est jamais tout blanc ou tout noir. Parfois, c'est gris.
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« Elle a eu du mal après l'accident. C'est surement celle de nous qui a été la plus atteinte. On ne peut pas lui en vouloir, elle n'avait que sept ans à l'époque. Je crois qu'elle ne s'en est toujours pas remise et qu'elle laisse déferler sa haine sur notre belle-mère. Malgré tout, elle n'arrête jamais de sourire. C'est bien une Hamilton, une battante. » – Caleb Hamilton, 21 ans, étudiant en droit.
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T'entends un soupir à ta droite, mais tu ne prends même pas la peine de regarder qui est là. Ça t'importe peu.
« Je savais que tu serais la. » C'est tout ce qu'il te dit. Tu ne réponds pas. Qu'est-ce que tu pourrais dire de toute manière ? Il s'assied à côté de toi sans rien ajouter de plus. Tu sens son poids sur le banc et tu as presque envie de le frapper pour avoir dérangé le calme de la nuit. Le silence s'installe. On peut entendre le vent souffler entre les branches d'arbre, les voitures sur la route principale au loin, les insectes et animaux qui rodent lorsque le soleil se couche et vos deux respirations – lentes et stables. Tu es agréablement surprise, tu t'attendais à ce que ton frère te prenne la tête avec ta dernière dispute avec ton père. Mais tu le connais trop bien, après tout, tu as vécu vingt ans à ses cotés, tu connais son fonctionnement par cœur.
« Papa te cherche. » C'est à ton tour de soupirer.
« Je sais, Isaac. » Et c'est tout ce que tu réponds. T'as franchement pas envie d'en parler maintenant.
« Il ne veut que ton bien, tu sais ? » Tu balances ta tête en arrière en fermant les yeux. Cette conversation, t'as l'impression de l'avoir déjà eue, à la même heure, sur le même banc. La seule chose qui diffère, c'est le frère avec qui tu discutes ; parfois c'est Alec, d'autres c'est Caleb et quelques fois encore, c'est Isaac. Comme s'ils faisaient une tournante pour gérer tes caprices. Mais tu le sais bien, toi, que ce ne sont pas des caprices. T'en as assez de toutes ces rumeurs qui courent et qui salissent un peu plus le nom de Hamilton tous les jours. Ça fait des mois que ton père te dit que ce n'est rien de grave, que cela s'estompera avec le temps et ça fait des mois que t'entends les gens parler de ton père, le Maire, comme s'il n'était qu'un escroc, qu'il profitait et manipulait les autres pour parvenir à ses fins.
« C'est pas évident le boulot de Maire, il a des responsabilités autres que ... » Toujours dans la même position, toujours les yeux fermés, t'as levé ta main pour qu'il se taise.
« Vous avez toujours l'air de passer aux dessus des rumeurs comme si de rien n'était. La majorité de la ville ne parle que de ça. Leurs messes-basses m'agacent. » Tu laisses tomber ton bras mollement en soupirant, comme si tu n'étais bonne qu'à ça ce soir, soupirer.
« Qui ça vous ? » Isaac n'est pas stupide, il est même brillant, mais quelque fois, qu'est-ce qu'il peut être lent de réaction.
« Toi, Papa et les deux autres crétins qui me servent de frères. » Tu ouvres les yeux pour admirer les étoiles. L'atmosphère était pesante, froide à la maison ce soir, mais tu sais que dans toute cette noirceur, il y a toujours les étoiles pour te guider. Et d'un côté, ça te rassure.
« Je pense qu'Alec n’apprécierait vraiment pas que tu l'appelles crétin. » Tu relèves la tête pour regarder le plus jeune de tes frères.
« Sérieusement Alec ? » Il te regarde en retour, tu peux lire l'incompréhension dans son regard.
« C'est tout ce que tu as retenu dans tous ce que je t'ai dit ? » Il entrouvre la bouche pour te répondre.
« Laisse tomber, Al, c'est bon. » Il hausse les épaules comme le simplet qu'il est. Vraiment ce gosse, tu te demandes comment il fait pour être dans les meilleurs de sa faculté avec des résultats plus qu'excellents alors qu'avec toi, il se comporte comme un parfait imbécile.
« Bon, viens Lu, on rentre. » Tu le regardes se lever en te tendant la main. Tu secoues la tête de droite à gauche.
« Nope, tu peux y aller. » Alec relève sa main pour se gratter le front.
« Papa ne va vraiment pas apprécier, Lu. » Tu hausses les épaules de manière nonchalante.
« Tant pis, j'attends quelqu'un de toute manière. » Le blondinet soupire et reprend lentement le chemin vers la villa familiale.
« Alec. » Il se retourne en enfonçant ses mains dans les poches de son pantalon.
« Hm ? » Tu lui souris.
« Merci, d'être venu. » Sans rien dire de plus, tu l'observes s'engouffrer dans le noir de la nuit jusqu'à ce que tu ne puisses plus identifier sa silhouette.
T'es pas certaine qu'ils te comprennent, tu sais pourtant bien que ni ton père, ni aucun de tes frères n'est stupide et t'as presque l'impression qu'ils jouent un jeu. A quoi ils jouent ? Ça, tu n'en as aucune idée. Tu relèves la tête vers les étoiles. Peu importe à quel point certaines choses ont l'air floues, les étoiles, elles, seront toujours aussi claires sur ce fond noir.
« Hey. » Tu sursautes, tu t'attendais pas à ce qu'il arrive aussi vite, mais en vérité, ça doit bien fait une demi heure que tu traînes sur ce banc. Tu l'entends rire et tu ne peux t'empêcher de sourire.
« Salut, Eliess. »+
« C'est vraiment une fille bien. Bien dans le genre elle est cool, quoi. Pas de prise de tête avec elle. Elle est marrante aussi, elle délire bien en soirée. Puis elle est vraiment gentille comparée à sa famille bizarre, mais lui dites pas que j'ai dit ça. Elle est un peu susceptible quand on parle de sa famille. Mais à part ça, elle est cool. Je l'aime bien, j'crois. » – Skylar Graham, 20 ans, étudiante.